
Fin du mois d’août 2018, de passage dans le var, j’ai voulu visiter mon ami le frère Antoine qui vit dans sa grotte depuis 52 ans… depuis quelques années je lui rendais visite chaque fois que je le pouvais, en été le plus souvent…La dernière fois, c’était il y a deux ans…et il commençait à me manquer. La semaine dernière j’ai décidé d’aller à sa rencontre…C’est toujours émouvant pour moi de retrouver cet endroit, un peu hors du temps, baigné de méditation, dans ces massifs qui dominent une région plutôt touristique. Ce lieu magique où des grottes éoliennes se sont formées pendant des milliers d’années avec l’érosion et le vent, recèle un paysage digne des grands westerns. Pendant ma ballade vers la grotte de l’ermite, des brides de souvenirs me revenaient…Notre première rencontre où je lui demandais s’il voulait être un des acteurs dans mon film sur les loups..un peu contrarié, il avait fini par accepter ma demande et une équipe de tournage a débarqué avec des ânes chargés de l’équipement cinéma au pied des grottes car nous tournions en pellicule (35mm) à l’époque et tout cela pesait fort lourd… Amusé, au début il avait pris ce tournage comme une épreuve. Il s’esquivait dès qu’il le pouvait, évitait la caméra …Puis nous avons échangé et passé des longues soirées à méditer et parler ensemble avec Christian Holl musicien et ingénieur du son qui nous accompagnait, il y avait aussi Antoine Briot assistant caméra et Pierre-Olivier Larrieu le chef-opérateur. Nous passions de bons moments dans le travail et la contemplation…

Puis quelques temps plus tard le film est sorti… »Frère Loup » le frère Antoine n’a jamais voulu voir le film…Je me revois reprendre ce petit chemin escarpé qui mène à la grotte dans la garrigue et les parfums de la Provence. À chaque visite, c’était une nouvelle aventure, de nouvelles rencontres, le frère Antoine était un ermite bien entouré, des gens de tous les milieux de tous les horizons venaient le visiter pour l’écouter chanter accompagné de son BulBultura (pas sûr de l’orthographe) un instrument à cordes qu’il avait fabriqué lui-même…Il avait un répertoire très fourni de ses compositions très personnelles….Son boulot d’ermite consistait à être là, présent à ce lieu et en ce lieu, dans le silence, les chants, les rires, l’humour et la bonne humeur…Il ramassait sans relâche, ni jamais se plaindre, les déchets laissés par les promeneurs : bouteilles et canettes vides, plastiques, papiers et ordures diverses…Beaucoup de visiteurs repartaient de la grotte avec la banane. Avec son humour décapant il allait à l’essentiel dans la communication et remontait le moral à bien des âmes…C’est ainsi que chemin faisant je revoyais tous les bons moments passés en sa compagnie… Surtout un voyage mémorable où il m’avait convaincu de l’accompagner en Inde, en Inde pour un ermite c’était un comble, dans un des pays les plus peuplé du globe…Et bien le frère Antoine y était comme un poisson dans l’eau, comme un enfant parmi les enfants, ouvert à la béatitude à la spontanéité, à l’émerveillement. À cette occasion j’ai tourné un autre film où cette fois il n’était pas plongé dans l’univers des loups mais celui de la foule indienne…Ce film « balade pour un ermite » est disponible sur mon site vimeo…C’était pour moi une expérience humaine très riche au pays du Bouddha …et au coeur d’une école de la vie …j’en étais là lorsque je passais dans le petit bosquet qui borde les premières marches de la grotte. Le coeur rempli de gratitude je sentais à nouveau cet endroit qui respirait le divin…Tout avait l’air comme d’habitude et à sa place, je frappais à la petite porte de la grotte, j’appelais…pas de réponse et donc je suis rentré … il n’y avait personne …pourtant tout était en place et je sentais les odeurs habituelles d’un endroit habité, un matelas au fond de la grotte, quelques boites de conserves..des biscuits…
j’ai attendu un moment …personne…C’est rare de ne pas le voir, peut être était il descendu au village ? Des questions mais pas d’inquiétude, je lui ai laissé un petit peu de nourriture ( soupes, purée en sachet, ricoré etc.. et un melon car il n’avait plus de dents ) et j’ai aussi écrit un mot et suis reparti me promener.

J’ai escaladé les rochers puis un peu fatigué je me suis endormi sur un lit de mousse sèche à l’ombre des pitons rocheux. Les cris d’un rapace m’ont sorti d’un beau rêve où je me promenais avec des maîtres indiens le long du Gange….Avant de quitter le massif de Roquebrune je me suis dit que je devais retourner à la grotte une dernière fois….

« Le paradis c’est ici »
Titre d’un des derniers livres du frère Antoine,
Pour lui le paradis n’est pas quelque chose d’extérieur à nous même et c’est ici maintenant quand l’ego se dissout. Il vit au paradis dans sa grotte mais ça pouvait être n’importe où….
Le frère Antoine au cours d’un échange enregistré à propos des loups et de la vie sauvage, m’avait confié qu’il préférait les loubards aux touristes car pour lui les vacanciers qui venaient à la grotte en lui demandant si ce n’était pas trop dur de vivre ici et s’apitoyaient sur son sort, mais comment faites vous pour l’eau pour la nourriture etc…Tandis que les loubards allaient direct au but en posant les vraies questions ou bien sans parler juste pour passer un moment avec lui…
Frère Antoine a écrit plusieurs livres dont le premier « la bouffée d’ermite » qui a bien marché, un best seller. Je ne les citerai pas tous…Demandez à google où à d’autres moteurs de recherche…

Et je reprend mon récit, les cris du milan m’avait sorti d’un rêve et je décidais de repasser par la grotte avant de repartir vers le monde d’en bas…
Les mots sur un bout de papier que j’avais écrit à son intention disaient : Salut frère Antoine, de passage dans ton paradis je suis venu te voir mais tu as disparu, alors j’ai demandé à St Antoine de trouver et je suis parti à ta recherche…signé : Bruno le frère Loup…
Sautant comme un gamin de rocher en rocher, j’arrivais essoufflé au pied de la grotte, et là en haut des escaliers bricolés dans la pierre, j’aperçois quelqu’un assis en tailleur torse nu portant un sarong orange autour de la taille, un homme d’une cinquantaine d’année…Je ne l’avais jamais rencontré, bien bronzé, un regard bienveillant, il me fait penser à un sâdhu indien…Nous nous présentons, il s’appelle Laurent ancien artiste vivant à Marseille, il a été attiré par l’inde et a vécu parmi les sâdhus, il venait lui aussi méditer avec le frère Antoine. Nous nous sommes jamais rencontré. Laurent m’apprend qu’il vit dans la grotte depuis un an car le frère Antoine a eut un accident il s’est fracturé le bassin en octobre 2017…
Je l’avais visité en aout 2017 et depuis je n’avais pu revenir le voir….J’étais très étonné car aucun des amis ne m’avaient prévenu.
Laurent m’explique qu’il est tombé dans ces escaliers un peu casse gueule qui sont le meilleur accès à la grotte. Il se rend vite compte que c’est grave et il ne peut plus bouger. Au bout d’une heure ou deux, il aperçoit des promeneurs et les appelle…Il leur demande de téléphoner à un de ses amis qui organise les secours…Un hélicoptère viendra cueillir le frère Antoine et l’emmener à l’hôpital, résultat de la radiographie fêlures du bassin, il ne peut plus marcher…Après quelques mois de repos et rééducation, il remarche mais difficilement, pas question de revenir à la grotte…Des amis très proches qui l’ont déjà aidé pour l’édition de ses livres, vont se charger de toutes les formalités pour que le frère Antoine qui a maintenant 96 ans, soit admis en maison de retraite….Laurent pendant ce temps s’installe avec la bénédiction du frère Antoine dans ce lieu où il a vécu 52 ans…Laurent a l’air de tenir le coup, visité par de nombreux promeneurs en été et dans la solitude en hiver paradoxe des sâdhus, en tous cas je n’ai pas senti un changement dans l’ambiance du rocher et je souhaite à Laurent bon vent dans son projet d’ermite. Si vous passez par le massif de Roquebrune ne manquez pas une rencontre fraternel avec lui, il est musicien et j’ai aperçu une guitare dans la pénombre de la grotte.
Laurent m’a donné l’adresse de l’ehpad où séjournait Frère Antoine ainsi que le numéro de sa chambre,
J’y suis allé dans la foulée…dans un petit village dans un quartier rénové en face une école, j’ai trouvé son paradis…Un peu perdu dans les numéros des chambres je demande où se trouve le frère Antoine, une dame du personnel me répond avec un grand sourire, très aimable et me montre la porte 25, il avait déjà conquis les gens qui s’occupent de lui…Assis près de son lit ,dans une petite chambre fraiche, près d’une fenêtre…Il me regarde et dit « qui c’est ? Puis me reconnaît et me demande ce que je fais là » après quelques blagues, il me raconte son retour à la civilisation, ne plus être dans sa grotte ne lui pèse pas, malgré tout chaque nuit il rêve qu’il est toujours là-haut. C’est comme si la mère divine l’a conduit là où il doit être, il est juste étonné d’être encore en vie. Il me parle de Laurent et je vois dans ses yeux qu’il est content d’avoir trouvé un successeur…Il me parle de lectures, en ce moment, il lit un livre sur l’histoire du Dalaï Lama, dans sa petite bibliothèque, il y a ses livres, puis beaucoup de livres sur l’Inde, l’autobiographie d’un yogi à côté d’un livre d’Amma etc…Je suis heureux de le revoir nous partageons des moments de silence en contemplant l’arbre du jardin et en face il y une école me dit-il et j’entend les enfants jouer, c’est bientôt la rentrée !
Il a beaucoup de visites, parmi ses amis je citerai deux personnes que j’ai rencontré, Jacques Bourgarel un conteur musicien et Philippe Lengelé un ange gardien qui s’occupe aussi de son petit livre jaune www.lengele.fr
Voilà la prochaine fois que je reviendrai je monterai d’abord voir Laurent puis j’irai voir Frère Antoine dans son annexe…
À quoi servent les ermites : il y a en eu de tout temps issus de toutes les religions, et aussi des athées, en Inde les sâdhus sont nourris gratuitement par la population, ils sont respectés…Il ne servent à rien et c’est justement ce rien qui est la clef du grand mystère qu’est la vie…
Merci à toi Frère Antoine qui en toute confiance t’es abandonné dans les bras de la mère divine.
La grotte est un artifice ; elle fait aussi partie du monde illusoire, et elle peut parfois aider à dissoudre l’ego.
Avant vous quitter je vous laisse un texte qui fait parti du livre jaune recueilli par Antoine :
« À notre époque extraordinaire, il faut une génération extraordinaire »
L’EXTRAORDINAIRE ?
C’est d’être content de ce qui est donné au lieu de pleurer ce qui est perdu.
C’est d’être de bonne humeur quand tout est ennuyeux et difficile
C’est être souriant quand tout le monde est grognon
C’est servir d’appui au lieu de chercher à s’appuyer
C’est voir le beau malgré le médiocre et le laid
C’est consoler au lieu de se perdre en pitié
C’est espérer quand tous se découragent
C’est croire quand tout le monde doute
C’est vibrer dans un milieu amorphe
C’est aimer dans un milieu hostile
www.lengele.fr
Une petite piste suite à un questionnement par rapport à l’utilité : Les ermites ne servent à rien….C’est pour cela qu’il ne servent à rien d’autre qu’à nous rappeler que le rien est indispensable….Les déserts, l’arctique et l’antarctique sont indispensables à l’équilibre de notre planète mais malheureusement pour nos contemporains tout doit avoir une utilité ou bien disparaitre…C’est la vision dualiste…Ce n’est pas la tienne ni la mienne…C’est super de ne servir à rien, Tchouang Tseu racontait l’histoire d’un grand arbre de la forêt et le charpentier ne lui avait à peine accordé un regard, car ce grand arbre était pour lui inutile car ses branches étaient tellement tordues qu’il ne pourrait pas faire de planches et son tronc tellement noueux qu’il était impossible à scier convenablement…Pourtant la nuit le charpentier fit un rêve, l’arbre lui apparu et lui dit tu vois grâce à mon inutilité je suis devenu le roi de la forêt….Bruno
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